Les conséquences catastrophiques du projet de réforme des collèges pour l’enseignement des langues

La ré­forme pré­voit la sup­pres­sion des clas­ses bi-lan­gues et eu­ro­péen­nes. Exit donc les bi­lan­gues an­glais-al­le­mand en 6e qui ont un temps sau­vé l’al­le­mand dans les col­lè­ges. En ef­fet, aux alen­tours de 2005, le nom­bre des jeu­nes ger­ma­nis­tes était tom­bé sous la barre fa­ti­di­que des 10 %. L’al­le­mand pas­sait ain­si dans la ca­té­go­rie des lan­gues d’en­sei­gne­ment di­tes « ra­res ».

Mais ce sont aussi toutes les langues qui vont pâtir. C’est au moment où il devient vital pour la France d’enfin s’ouvrir au monde avec une jeunesse qui sache communiquer et réussir en Europe que la diminution programmée de la compétence linguistique va cloîtrer plus encore les futurs élèves dans le traditionnel monolinguisme hexagonal.

Téléchargez et lisez l’excellente synthèse de l’ ADEAF (Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France)[divider][/divider]

Signez la pétition de l’ADEAF pour le maintien des bi-langues anglais-allemand en 6e des collèges[divider][/divider]

Téléchargez et lisez la lettre d’une enseignante de l’Académie de Toulouse, un témoignage concret de ce qui attend nombre d’enseignants d’allemand si ce projet de réforme (soit improvisée par des inconscients, soit imposée par les calculs de gestionnaires à qui les objectifs et la nécessité de l’enseignement des langues importent peu) est effectivement mise en oeuvre [divider][/divider]

 

Le mi­ra­cle des bi-lan­gues

Heu­reu­se­ment la den­si­fi­ca­tion de l’of­fre des clas­ses bi-lan­gues an­glais-al­le­mand avait fait re­mon­ter le nom­bre des ger­ma­nis­tes jus­qu’à près de 15 %. Ce qua­si dou­ble­ment mi­ra­cu­leux du nom­bre des élè­ves d’al­le­mand fai­sait même – ô pa­ra­doxe ! – crain­dre qu’avec la di­mi­nu­tion du nom­bre des pro­fes­seurs (dont la moyenne d’âge ac­tuelle de­vrait se si­tuer au­tour des 55 ans) on ris­quait de ne plus pou­voir ré­pon­dre à cette nou­velle de­mande sans cesse crois­sante.

Pa­ta­tras ! La nou­velle ré­forme sup­prime ce dis­po­si­tif et, pro­ba­ble­ment, bri­se­ra net l’élan de la suc­cess sto­ry in­at­ten­due de l’al­le­mand au col­lège.

Ce que change la sup­pres­sion des clas­ses bi-lan­gues

Bien sûr, a prio­ri, on pour­rait pen­ser que la gé­né­ra­li­sa­tion de l’avan­ce­ment de la se­conde lan­gue vi­vante en 5e de­vrait créer un ef­fet de « bi-lan­gue pour tous » dont l’al­le­mand ne pour­rait que pro­fi­ter. Jus­qu’ici l’avan­ce­ment de la se­conde lan­gue vi­vante jus­qu’en 6e – un an plus tôt donc – était un dis­po­sitif de sau­ve­tage de l’al­le­mand pour pré­ser­ver sa po­si­tion tra­di­tion­nelle de pre­mière lan­gue vi­vante au col­lège en con­cur­rence, puis dé­sor­mais en com­pa­gnie de l’an­glais. Mais cela ne con­cer­nait qu’une poi­gnée d’élè­ves des col­lè­ges… et tous les col­lè­ges n’of­fraient même pas une classe bi-lan­gue en 6e. C’était donc un choix des chefs d’établissements d’ou­vrir ou non – en fonc­tion des de­man­des éven­tuel­les – une classe bi-lan­gue.

Avec la nou­velle ré­forme, l’al­le­mand passe of­fi­ciel­le­ment dans la ca­té­go­rie des deuxiè­mes lan­gues vi­van­tes de l’en­sei­gne­ment fran­çais. La de­mande so­ciale en fa­veur de l’an­glais l’avait déjà mar­gi­na­li­sé avant l’ins­tau­ra­tion pas­sa­gère des clas­ses bi-lan­gues (cf. les pour­cen­ta­ges ci-des­sus). De plus, de­puis quel­ques an­nées, l’an­glais était éga­le­ment de­ve­nu une ma­tière sco­laire de base – au même ti­tre que l’arith­mé­ti­que ou l’or­tho­gra­phe – avec la gé­né­ra­li­sa­tion d’une pre­mière lan­gue étran­gère dès les pre­miè­res clas­ses du pri­maire qui ex­cluait de fac­to toute au­tre lan­gue en pri­maire (l’al­le­mand au­tre­fois pré­sent à près de 10% dans l’an­cienne for­mule de fa­mi­lia­ri­sa­tion aux lan­gues étran­gè­res en CM2 a qua­si­ment dis­pa­ru dans les cours pri­mai­res). L’obli­ga­tion de con­ti­nuer l’an­glais en 6e s’est ain­si im­po­sée à tous et, avec les clas­ses bi-lan­gues, on lui y avait juste gref­fé l’al­le­mand comme une sorte de pre­mière lan­gue-bis pour élè­ves sé­lec­tion­nés.

Les stra­te­gies du choix des lan­gues chan­ge­ront-el­les ?

Cer­tes le chan­ge­ment an­non­cé ne mo­di­fie­ra pas les stra­té­gies de choix des lan­gues au col­lège : pour­quoi l’es­pa­gnol, pour­quoi pas l’al­le­mand ? Et pour­quoi pas une au­tre lan­gue rare et sé­lec­tive ? L’es­pa­gnol, l’au­tre « lan­gue mon­diale », est la­tine, pro­che du fran­çais et répu­tée plus fa­cile à ap­pren­dre. L’al­le­mand, cette au­tre (10e) lan­gue mon­diale, est d’abord la se­conde lan­gue eu­ro­péenne, sou­vent pre­mière lan­gue com­mer­ciale et tech­ni­co-scien­ti­fi­que en Eu­rope. Mais, seule une mi­no­ri­té de pa­rents fran­çais sait que l’al­le­mand donne un plus pour réus­sir une car­rière pro­fes­sion­nelle, quelle qu’elle soit.

Bref, que chan­ge­rait donc la ré­forme à ces cri­tè­res de choix des pa­rents qui jouent un rôle si im­por­tant quand ils ins­cri­vent leurs en­fants en 6e. A prio­ri, rien du tout.

La per­mu­ta­tion des « dé­ci­deurs »

Mais le dia­ble se ca­che dans le dé­tail ! Avec la LV2 avan­cée en 5e, les pa­rents ne choi­si­ront plus en mi­lieu de l’an­née de CM2 les lan­gues de leurs en­fants pour la 6e !

Le choix se fera dé­sor­mais en classe, donc es­sen­tiel­le­ment par les in­té­res­sés eux-mê­mes, comme cela est déjà le cas pour la LV2 en 4e. Dans les co­hor­tes et au­tres clans d’élè­ves, l’es­pa­gnol des co­pi­nes et des co­pains joue­ra un rôle in­fi­ni­ment plus puis­sant que la vel­léi­té de quel­ques pa­rents am­bi­tieux ou clair­voyants.

Exit les pa­rents dans la stra­té­gie des choix. Ne res­te­ront plus que les ra­res pa­rents ger­ma­nis­tes et/ou ger­ma­no­phi­les à tout crin qui sau­ront im­po­ser leur abo­mi­na­ble dik­tat : « Tu fe­ras de l’al­le­mand, un point c’est tout« … De quoi dé­goû­ter dé­fi­ni­ti­ve­ment de l’al­le­mand, cette lan­gue si « dif­fi­cile » et si étran­gère, si ce n’est étrange, avec son der-die -das.

Une op­por­tu­ni­té pour nos as­so­cia­tions fran­co-al­le­man­des

La ques­tion ra­tion­nelle du choix de la se­conde lan­gue vi­vante, à sa­voir quelle au­tre lan­gue choi­sir en ac­com­pa­gne­ment de l’an­glais, reste en­tière. Mais une lan­gue se choi­sit plus par af­fect que par la rai­son.

L’ar­gu­ment ra­tion­nel du choix de l’al­le­mand ne tou­che­ra plus qu’une « clien­tèle » mar­gi­nale qui sait que la maî­trise de l’an­glais (l’es­poir d’une bonne note d’an­glais au bac) peut être fa­ci­li­tée par l’ajout d’une se­conde lan­gue ger­ma­ni­que ba­si­que qui per­met de mieux as­si­mi­ler les dif­fi­cul­tés in­trin­sè­ques de l’an­glais (les fa­meu­ses ex­cep­tions fa­ci­le­ment com­pré­hen­si­bles aux ger­ma­nis­tes).

Mais aux yeux de tous ceux qui vi­se­ront une vie pro­fes­sion­nelle où l’an­glais est de­ve­nu in­con­tour­na­ble, la maî­trise de deux lan­gues ger­ma­ni­ques pa­raî­tra d’au­tant plus in­té­res­sante que l’al­le­mand est l’au­tre lan­gue de l’éco­no­mie eu­ro­péenne (voire même en Chine, comp­te tenu du poids énorme des en­tre­pri­ses al­le­man­des et de leurs col­la­bo­ra­teurs dans ce pays).

Cette ra­tio­na­li­té sera mo­trice dès le choix d’une éven­tuelle LV3 dans les Ly­cées, plus en­core en­cours d’étu­des et sur­tout à l’âge adulte.

Il est fort à pa­rier que la de­mande d’al­le­mand des adul­tes va for­te­ment pro­gres­ser au cours des pro­chai­nes an­nées et que l’of­fre tra­di­tion­nelle ne pour­ra pas la sa­tis­faire.

C’est donc une for­mi­da­ble chance qui s’offre à nous de pro­fi­ler no­tre of­fre lin­guis­ti­que et cul­tu­relle au plus près de la de­mande !