La tradition du Gasthaus local
La cuisine des auberges pour commerçants et artisans voyageurs (et plus tard, à partir de la fin du 19e siècle allemand, du vacancier randonneur) participe de cette tradition bourgeoise urbaine (dont témoigne parfois encore un petit panneau « publicitaire » du genre « Futtern wie bei Muttern« , littéralement se gaver comme chez la mère.
Cela trompe d’ailleurs nombre de Français qui voyagent en Allemagne : en supposant que, par nature, dans toute cuisine de restaurant, fût-il allemand, s’accompagne de la nécessaire présence d’un chef potentiellement « étoilable » au Michelin, ils s’attendent à un effort d’élaboration culinaire dont la majorité des chefs et clients Allemands pour leur part ne se soucient guère quand il s’agit juste de satisfaire la faim en milieu de la journée de travail ou au cours d’une journée de loisirs actifs.
La particularité de ces « auberges » est de cumuler toutes les vocations : à la fois hôtel, restaurant, bistrot, café, voire salon de thé. Nombre d’entre elles insistent sur leur ancienneté, parfois importante. Leur rôle actuel est probablement une sorte de survivance de la maison collective au centre du village antique, lieu où se réunissait le Conseil local des chefs de famille. Nombre de petites villes ont encore leur « Ratskeller » (la « Cave du Conseil », dans les sous-sols de l’Hôtel de Ville) où vin et bière coulent à flots selon une tradition déjà décrite chez… Tacite (en 98 après Jésus Christ !)
Ce sont des lieux de convivialités collectives et familiales qui accueillent à la fois l’étranger de passage – touristes et professionnels solitaires – et les divers locaux aux motivations multiples : la sortie festive du soir, le verre dehors pour se changer les idées,… mais aussi les Stammgäste qui se réunissent régulièrement autour de leur Stammtisch (littéralement : table de la tribu ou table des habitués) dans un coin au plus proche de la « Theke« . Ce comptoir n’est pas un bar, mais une surface à hauteur de table, interface avec la cuisine et le patron : les serveuses viennent y chercher les plats et le patron y tire consciencieusement les verres de bières consommées au Stammtisch… et ailleurs (il faut entre 5 et minutes pour tirer une Pils et plus généralement ein Bier se doit d’être gepflegt (soigné). C’est de ce lieu stratégique que le patron (ou la patronne) peut dialoguer avec ses Stammgäste et contempler l’œuvre de sa vie, la satisfaction de ses clients et le travail des serveuses. Pour plus de certitude, il part de temps à autre dans la salle, passe de table en table, pose deux doigts sur la table, signe de sa qualité de propriétaire, et s’inquiète ainsi du bien-être de ses clients.
Les Gasthäuser sont donc des généralistes de l’accueil qui se différencient plutôt par la qualité de leur public, leur nombre de chambres et leur niveau de prix, la qualité de leur cuisine éventuellement au dessus de la moyenne banalement « a-gastronomique », la qualité de leur décor et de l’accueil. Le gasthaus se doit d’être « gemütlich« . Ce mot est notoirement connu pour être intraduisible : un mix de confortable, cosy, réconfortant, agréable à voir, accueillant, apaisant, délassant… bref bon pour le Gemüt, le tempérament ou moral.
Si on tentait une comparaison avec l’hôtellerie française traditionnelle, la différence entre généraliste de l’accueil à l’allemande et spécialiste de l’hébergement à la française se voit d’abord dans la salle de restaurant des hôtels français (quand elle existe) : elle offre souvent l’aspect impersonnel d’une cantine pour pensionnaires d’hôtels, avec ses tables alignées et sa lumière froide au plafond, quand elle n’est pas ostensiblement guindée et froide.
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Sortir boire… et manger : les Kneipen, bars et autres Lokale
Les Allemands, comme les Anglais, Hollandais et autres Américains sont des « piliers de bars ». Seuls, en couple, en famille, en groupe d’amis, de collègues, entre notables du même réseau ou entre étudiants,… les Allemands, collectivistes dans l’âme, de tous âges et de toutes conditions sociales, resortent facilement le soir, juste pour boire, après leur Abendbrot (en principe l’Abendbrot, c’est entre 18 et 19h). Pour sortir boire un verre, l’Allemagne regorge de lieux de tous types : les Gasthäuser bien sûr, mais aussi de nombreuses Gastätten et Kneipen dans les quartiers (généralement sans hôtellerie) et de très nombreux bars et « cafés » aux allures et décors variés.
Tous ces endroits de convivialité, quand ils ne font pas restaurant aussi, ont une Imbisskarte, une offre d’en-cas, mini-plats ou plats froids – sans ambition gastronomique aucune ! – qui permettent de se restaurer, histoire d’accompagner la bière ou le quart de vin (voir aussi sur ce site la rubrique « Zwischenmahlzeiten« )
Au fond, l’Allemand d’aujourd’hui va dans son Stammlokal comme dans l’Antiquité il allait dans la maison collective où se réunissait la tribu. Nombre de bars sont en fer à cheval et munis de tables rondes et hautes, une sorte de mini-bar bis où se regrouper entre amis et échanger. Si un couple est assis seul à une des grandes tables d’une Kneipe et qu’il y reste plusieurs places libres, n’hésitez surtout pas à leur poser la question « darf ich… ? » pour obtenir invariablement la réponse « Bitte » avec un geste du bras désignant les places encore libres où vous installer…. en général, on peut alors entrer très facilement en conversation avec de parfaits inconnus.
Si la table du café français réjouit d’abord le voyeur, le dos à la banquette ou sur sa chaise de terrasse, pour contempler la vie qui se déroule sous ses yeux, l’Allemand qui sort a besoin d’une vraie table, une sorte de centre de palabre autour de laquelle se regrouper. En entrant dans une Kneipe , ne vous étonnez donc pas de ne voir que des dos courbés autour d’une table sous une lampe. [divider][/divider]
Sortir et « schön essen gehen »
L’offre esthétique – réussie ou non – des Gasthäuser correspond ainsi, comme dans beaucoup des autres restaurants allemands à une demande essentielle chez le mangeur allemand : pouvoir « schön essen gehen » (littéralement : « aller manger beau« ). C’est un impératif aussi, voire plus fréquent que « gut essen gehen » ou « fein essen gehen« . Le décor, la sensation de bien être, les retrouvailles avec une ambiance cossue de bon aloi, est une qualité essentielle du lieu où l’on va manger, que le repas soit « gastronomique » ou non.
Le « beau manger », la qualité du lieu peut suffire amplement à satisfaire le mangeur allemand. Pour autant que la cuisine soit goûteuse (es soll schmecken), elle n’a pas besoin d’être recherchée. L’Allemand abhorre – de manière plutôt protestante – le superflu qu’il estime tout juste bon pour quelques nouveaux riches décadents. Au pays du Baroque des Princes, la simplicité bourgeoise est Reine. En conséquence, l’impératif de la recherche gastronomique peut être délibérément ignoré par nombre de chefs des Gasthäuser. Pour la nécessaire qualité de l’ambiance de confort et de chaleur, il faut force bois, textiles, lumières tamisées, banquettes pour tables en coin, avec coussins. Au Nord allemand, vous trouverez souvent un coin sofa.
Bref ce sont des lieux qui donnent autant envie de séjourner que de manger. Le plaisir gustatif devient alors le petit plus de la chaleur conviviale. Les petites villes et villages des grandes régions touristiques allemandes regorgent ainsi de ces auberges cossues où il suffit d’entrouvrir la porte pour se sentir à l’aise et se dire d’emblée que l’on y reviendra une fois prochaine.[divider][/divider]
Le trip exotique et santé
Sans tradition culinaire prestigieuse et exportable, l’Allemagne gastronomique est une véritable éponge de toutes les influences possibles et imaginables.
Depuis longtemps, jusque dans les plus petits villages et les quartiers résidentiels, les Allemands avaient leur Grecs, Italiens, Yougoslaves, Chinois du coin. De même les Döner Kebab sont depuis longtemps une institution nationale. Les Allemands préfèrent la cuisine italienne, la pizza et les lasagnes et chaque village digne de ce nom dispose de son glacier italien avec sa grande terrasse.
Les Allemands sont voyageurs dans l’âme, dans les goûts culinaires comme dans l’espace.
A côté de cette omniprésence d’un exotisme standardisé, on assiste depuis quelques années une nouvelle explosion de cuisines du monde entier dans les grands centres urbains, en particulier à Berlin. Qui plus est, à côté de ces nouvelles enseignes (jusque parmi les fast-food des gares) se multiplient aussi des restaurants qui proposent une cuisine fusion qui mélange plusieurs cultures et techniques dans le même plat. Dans le même temps, l’obsession germanique du « gesund essen » (manger sain), de l’écologie et du bio favorise une floraison exceptionnelle de lieux où trouver son salut physiologique, loin des plats en sauce, pâtes et autres féculents traditionnels saturés de gras. Vegan kochen, vegan essen et les Veganer sont absolument in.[divider][/divider]
La folie des asperges
La grande vedette d’une cuisine fine est sans aucun doute l’asperge. Elle est cultivée dans toutes les régions et la consommation par personne est quatre fois plus élevée qu’en France ! La saison est courte, à peine 7 à 8 semaines entre la fin avril et la fin juin. Il n’y a pas de dates fixes, mais la « Spargelzeit » est « officiellement » close le soir de la Saint-Jean, le 24 juin. En réalité la saison commence dans les restaurants dès le mois de mars. Chaque chef y va de sa carte de préparations spéciales, une collection plus ou moins extravagante qui permet parfois de revisiter la carte de l’Europe gastronomique, de l’Espagne à la Pologne. Les premières asperges viennent des serres ou de l’étranger (Grèce, Maroc, Espagne, puis Italie et Franc). Mais la vraie saison, la Spargelzeit , commence avec les asperges badoises, wurtembergeoises et franconniennes et atteint son apogée avec celles de la plaine sablonneuse du Nord.
On l’appelle Kaiserliches Gemüse (légume impérial), Weißes Gold (or blanc), « essbares Elfenbein » (ivoire comestible), une série de noms qui témoignent d’une véritable vénération. L’asperge est le 8e légume les plus acheté par les foyers allemands. On récolte en Allemagne jusqu’à 100 000 tonnes/an. On l’achète au marché ou, de préférence, directement en bout de champ, vendu en direct par les paysans, là où on est vraiment sûr de le trouver frais coupé. Le production vient du pays de Bade et de la Bavière, mais surtout de la Basse-Saxe (championne toutes catégories), suivie de la Rhénanie-Westphalie et le Brandebourg. Les Berlinois ne jurent que par les asperges de Beelitz (Brandenburg) ; les habitants de Basse-Saxe vénèrent celles de Nienburg ; en Hesse, l’asperge des environs de Darmstadt est un must ; les Bavarois préfèrent la « Stangerl » d’Abensberg près de Ratisbonne. En termes de surface cultivée, l’asperge est le premier légume cultivé à ciel ouvert.[divider][/divider]