Une synthèse de la conférence d’Alain Fabre (Expert économique et Conseil financier) donnée au Cercle franco-allemand de l’ARRI (*), le 19 mai 2016 (par Robert Diethrich)
En introduction, Alain Fabre souligne qu’il n’y a pas de différence culturelle profonde entre les deux pays dans leurs approches économiques, mais qu’ils ont appliqué de bonnes ou de mauvaises stratégies, de sorte que les divergences s’accentuent depuis 10 à 15 ans. Ainsi la France est aujourd’hui en pleine déprime alors que l’Allemagne ne connait pas de chômage grave ni de crise économique. De fait le traité de Maastricht devait amener une convergence des économies de la zone euro mais la France a décroché et les intérêts économiques des deux pays divergent de plus en plus à cause de la stratégie singulière (anti-industrielle) adoptée par la France. Le résultat est clair : alors qu’à sa création la zone euro avait pour centre la France, l’Allemagne et l’Italie, la France est maintenant plus distancée que l’Italie.
En fait il y a eu une cassure de l’économie française depuis 15 ans, notamment à cause de la désindustrialisation, de la loi sur les 35 heures et de la dérive des coûts salariaux et des charges sociales. Ainsi l’activité industrielle ne représente plus que 10% du PIB en France (comme en Grèce), soit seulement 37% de l’activité industrielle en Allemagne. De même les exportations sont tombées de 25% du PIB en 2000 à 21% en France, alors qu’elles sont encore de 25% en Italie, 24% en Espagne et 40% en Allemagne. Par exemple, la fabrication d’automobiles en France est passée de 2,5 millions à 1,6 millions entre 2000 et 2015, alors qu’elle a augmenté de 5 à 5,5 millions en Allemagne sur la période. Même l’industrie agro-alimentaire baisse en France, qui se fait rejoindre par l’Allemagne dans ce secteur. Au total en terme de PIB industriel la France est passée 4ème de l’UE derrière l’Allemagne, l’Italie et le Royaume Uni, quand elle était presque à égalité avec l’Allemagne dans les années 1990. Elle est le seul pays de la zone euro dont l’industrie ait reculé, détruisant nombre d’emplois. Et la France ne va-t-elle pas aussi maintenant rater la révolution numérique, avec l’essor des objets connectés qu’elle n’a guère anticipé ? Dans les exportations la haute technologie compte pour 11% du total en France, contre respectivement 15% en Italie et 20% en Allemagne.
Revenons sur les causes de ce décrochage. Au plan de l’éducation on constate une baisse du niveau technique en France, alors qu’il augmente en Allemagne depuis 2000 et que l’apprentissage et la formation duale s’y développent toujours aussi bien. D’autre part, après 1990 la théorie du monde post-industriel développée notamment par Jeremy Rifkin a très bien pris en France (sur le modèle préconisé des services et de l’entreprise sans usine), un peu moins aux Etats-Unis, mais pas du tout en Allemagne qui allait plutôt vers un monde hyper-industriel (où l’industrie continue à se développer et entraine les services à haute valeur ajoutée). La cohérence de la politique menée en Allemagne repose sur la flexibilité du travail et l’amélioration de la compétitivité, négociées entre les partenaires sociaux, avec comme fer de lance les PME destinées à se développer en ETI. Les contrastes sont forts : plein emploi (même si c’est quelquefois à temps partiel), économie de compétitivité, des devoirs avant les droits en Allemagne, chômage de masse, économie administrée, des droits sans devoirs en France. Cela explique que le PIB par habitant qui était à peu près égal en 2000 soit aujourd’hui bien supérieur en Allemagne : 35 000 € pour 28 000 € en France. De même il y a un très grand écart de confiance en l’avenir chez les jeunes des deux pays.
Les risques de la zone euro ont commencé à la périphérie : d’abord avec la Grèce et l’Irlande, puis le Portugal, et à un degré moindre l’Espagne et l’Italie qui se sont déjà réformés et redressés en acceptant des efforts en échange de la solidarité de la zone. Mais la France est insensible à la nécessité d’évoluer et de se réformer. Une raison en est que les titulaires des « rentes sociales», qui ont intérêt au statu quo, sont largement majoritaires dans les scrutins politiques. On aboutit aussi à une véritable crise de la technocratie française et à une contestation de la gestion faite par les élites. Face à l’endettement que tout cela entraîne les taux d’intérêt devraient être une force de rappel, malheureusement ils sont neutralisés par les interventions de la BCE qui veut relancer l’économie européenne.
Questions – réponses :
Pour consolider la zone euro, l’idéal serait d’avoir un ministre des Finances européen, car la logique de la zone euro est une convergence politique et économique. Il faudrait donc relancer cette convergence qui peut entraîner des contraintes sur les Etats.
Les prévisions pour les prochaines années donnent une croissance de 1,5% par an pour l’Allemagne, la zone euro devrait au moins suivre.
Il y a de grands groupes efficaces en France aussi bien qu’en Allemagne, mais en France ils délocalisent leurs activités alors qu’en Allemagne ils structurent la production pour en garder l’essentiel dans le pays.
Le professeur Philippe Meyer signale que la collaboration scientifique et technologique est efficace entre les entreprises des deux pays, d’autant plus qu’elle part de la base du tissu économique. On en a de bons exemples dans le domaine de l’aéronautique et de l’espace.
Brigitte Lestrade souligne les différences culturelles dans les deux pays qui se manifestent dès l’enseignement : ainsi la culture du consensus est si forte en Allemagne, or elle est indispensable pour la cogestion des entreprises, où il y a un véritable partage du savoir et du pouvoir.
En France l’Etat gouverne la société, en Allemagne la société gouverne l’Etat (note du rédacteur : ceci fut bien expliqué dans la conférence d’Isabelle Bourgeois). En Allemagne un contrat signé s’applique, en France c’est un objet de contestation. De plus en France il existe une stratification sociale héritée de l’ancien régime, et le discours égalitaire mal compris conduit de fait à verrouiller les statuts sociaux.
En Allemagne il y a 45 millions d’actifs contre 22 millions en France. Cependant pour l’avenir l’écart démographique est en faveur de la France, sauf à le gaspiller en acceptant un chômage élevé.
Jean Michel Fauve lance l’idée d’un aménagement du territoire franco-allemand commun pour les entreprises, le développement industriel étant plutôt en Allemagne et l’emploi disponible en France. Mais cela supposerait un minimum de convergences dans la fiscalité, le droit du travail, les charges sociales, etc, bref on en revient aux écarts accentués entre les deux pays.[divider][/divider]
(*) ARRI : Association Réalités et Relations Internationales
Reconnue d’utilité publique, l’Association Réalités et Relations Internationales (ARRI) , réunit près de 800 personnalités ayant en commun la conviction qu’il faut promouvoir dans la société française l’idée d’une meilleure connaissance des réalités internationales à commencer par celles des pays de l’union Européenne.
L’ambition de l’ARRI est d’aider à mieux comprendre les enjeux et les conséquences de la mondialisation, et voudrait promouvoir la construction européenne parce qu’elle apporte une réponse à la plupart des interrogations que cette mondialisation suscite.
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