Une excellente mise au point de notre Ministre des Affaires Etrangères au moment où tant d’oiseaux de mauvaise augure jouent à diviser les consciences.
Paris et Berlin : soyons unis face aux crises !
L’amitié franco-allemande n’est pas un rite désuet, mais la condition d’une Europe forte et efficace, plaide le ministre des Affaires étrangères et du Développement international.
Pour la première fois, un ministre des Affaires étrangères français participe ce mercredi au Conseil des ministres allemand – comme, il y a cinq mois, le ministre des Affaires étrangères allemand au Conseil des ministres français.
Certains jugeront peut-être qu’il ne s’agit que d’une image supplémentaire d’une amitié franco-allemande fatiguée. Ils auraient tort et méconnaîtraient deux réalités : la profondeur des relations entre nos deux pays et la gravité des crises auxquelles nous devons faire face ensemble.
Bien sûr, des différences existent entre nous. Nos cycles politiques et économiques ne sont pas identiques. Nos sociétés réagissent à leur histoire propre, à leurs mythes, à leurs illusions parfois. Ces différences peuvent tenir à des malentendus : il nous revient de les lever. Elles peuvent aussi résulter de motifs de fond : c’est alors que le dialogue et la concertation doivent permettre de parvenir à la bonne solution.
Ceux qui pensent pouvoir lire dans les débats qui nous animent un déclin de la relation franco-allemande font fausse route. Ceux qui croient bon de réveiller les vieux spectres de l’animosité à l’égard du voisin s’agitent en vain. L’amitié entre nos deux pays est très solide et dépasse, heureusement, les vicissitudes de court terme.
Car nous avons à faire face, Allemagne et France, au même monde de tous les dangers : crise géopolitique aux portes de l’Europe, en Ukraine ; crises en Syrie, en Irak, en Libye avec l’apparition de nouvelles puissances terroristes ; crise sanitaire avec l’épidémie du virus Ebola ; crise climatique face à la croissance incontrôlée des émissions de gaz à effet de serre qui menace notre planète.
Face à ces défis inédits par leur amplitude et leur simultanéité, nous devons agir et nous agissons main dans la main avec mon homologue et ami allemand Frank-Walter Steinmeier afin d’y répondre et de contribuer à construire notre avenir commun.
En Afrique, notre contribution commune face aux menaces terroristes qui mettent les États en péril est indispensable. Au Mali, nous avons mobilisé la brigade franco-allemande au sein de la mission européenne chargée de la formation des forces armées. Nous connaissons les contraintes institutionnelles avec lesquelles nos amis allemands prennent ces décisions : nous n’en apprécions que davantage cet engagement. En Ukraine, nous travaillons ensemble à la recherche d’une solution politique. Pour l’atteindre, nous sommes disposés à apporter, unis, une contribution à la surveillance du cessez-le-feu. En Irak et en Syrie, notre réponse aux terroristes de Daech est concertée sur les plans politique et logistique.
De même, pour lutter contre le fléau d’Ebola, nous avons d’emblée coordonné nos actions, déployé du personnel médical dans des zones difficiles et mobilisé nos contributions. Afin d’acheminer le personnel et l’aide nécessaire aux pays touchés par l’épidémie, nos deux pays ont mis en place un pont aérien. Dans les prochains jours, nous devrons nous tenir prêts à mobiliser encore davantage nos capacités et celles de nos partenaires pour répondre à l’expansion de l’épidémie.
Au-delà de la réponse à ces crises, nous travaillons main dans la main à une réponse internationale face au défi climatique qui menace la planète. La France et l’Allemagne démontrent qu’avec des caractéristiques différentes l’unité est possible pour atteindre des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. D’ici à la Conférence des Nations unies sur le climat que la France accueillera en décembre 2015 et dans le contexte de la présidence allemande du G7, nos deux pays agiront de concert pour convaincre et faire avancer ce dossier majeur.
La leçon de ces actions conjointes est simple : la France et l’Allemagne portent une responsabilité particulière en Europe, héritée de l’Histoire et de leur poids. Dans des circonstances nouvelles, nos deux pays doivent sans cesse réinventer un tandem efficace. Chacun sait qu’une Europe dans laquelle le couple franco-allemand n’est plus moteur perdrait sa dynamique. En particulier par rapport à l’obsédante question du chômage, nous avons besoin de propositions communes pour stimuler l’investissement et la croissance. Si l’on veut poursuivre l’intégration européenne, si l’on souhaite que l’Europe pèse dans la résolution des crises, si l’on désire additionner les beaux principes de 1789 et de 1989, le partenariat franco-allemand est vital. C’est donc en conjuguant nos forces, en étant côte à côte pour les grands choix, que nous permettrons à notre continent d’être un des acteurs majeurs de demain. La communauté d’action entre la France et l’Allemagne est donc plus nécessaire que jamais au grand dessein européen, en relation étroite avec nos autres partenaires européens, à l’image du partenariat noué avec la Pologne dans le cadre du « triangle de Weimar », que j’accueillerai le 24 octobre à Paris.
Un mot plus personnel enfin. Lors de mon dernier passage à Berlin, j’ai pris quelques instants pour contempler la ville depuis les fenêtres de l’ambassade de France. Face à moi, la porte de Brandebourg, symbole de l’Allemagne d’aujourd’hui. Dans cette symbolique des lieux mêlant nos deux pays, je vois l’incarnation de l’amitié qui nous unit. Belle image de ce que sont nos liens : un atout puissant dans la période incertaine que nous traversons. Veillons à maintenir ces liens forts face au monde multi-crises qui nous entoure.
LAURENT FABIUS